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SALINES NATIONALES
Il est peu de pays où les sources salées soient aussi communes
et aussi abondantes que dans les vallées de la grande et de la petite
Seille: la première commence à une demi-lieue au-dessus de Dieuze,
la seconde au-dessous de Morhange; elles forment un angle aigu dont le sommet
est au confluent des deux rivières près de Burthecourt, et dont
chaque côté a environ quatre à cinq lieues de longueur.
[…]
Quelque part que l'on fouille dans ces vallées, on trouve à peu
de profondeur, des eaux plus ou moins chargées de sel et qui varient
depuis six jusqu'à douze degrés de salure [on entend par degré
de salure, la quantité de livres de sel contenue dans un quintal d'eau
salée
[…]
Dès le VIIIème siècle on commença, en Lorraine,
à former du sel avec l'eau de -ces sources. Ce furent les ducs de Lorraine,
ceux de Bar et les évêques de Metz qui formèrent ces établissemens
: ils abandonnèrent successivement les plus foibles, et il n'en reste
aujourd'hui qu'à Dieuze, à Château-Salins et à Moyenvic.
SALINE DE DIEUZE.
Elle étoit en activité dès le XIème siècle;
la source s'étant déranger et presque perdue à la fin du
XVIIème, on rétablit le puits en 1709, et depuis ce temps elle
donne si abondamment, que dès 1746 ses eaux superflues ont encore suffi
à l'alimentation de la saline de Moyenvic, où elles descendent
par une file de corps à travers la vallée de la Seille.
Cette source est la plus riche de toutes celles du département; elle est à seize degrés. On avoit conçu l'idée de la faire évaporer a l'air libre, par le moyen d'un bâtiment de graduation, afin de la porter jusqu'à vingt degrés avant la cuite; mais on s'est aperçu que l'eau ainsi réduite ne cuisoit plus aussi facilement, et le projet a été abandonné.
L'eau salée est extraite d'un puits à l'aide de deux pompes mues par un courant d'eau et d'une chaîne sans fin, mise en mouvement par des chevaux qui relaient de quatre heures en quatre heures.
Elle est recueillie, en sortant des pompes, dans de petites auges, d'où elle tombe dans un grand réservoir construit en madriers de chêne, et que l'on nomme baissoir.
Au bas de ce réservoir sont adaptés des corps en bois par lesquels l'eau remonte, et est conduite au niveau de chacune des poêles où l'on forme le sel.
Ces poêles sont faites avec de fortes platines unies ensemble par de gros clous à double rivure; leur dimension commune est de vingt-six pieds de longueur sur vingt de largeur, et vingt pouces de profondeur.
De forts crochets ou tirans, tenant d'un côté au fond de la poêle, et de l'autre à des traverses de bois fixées au dessus, empêchent que la poêle ne crève par le poids de l'eau dont on la remplit, ou que faction du feu ne la tourmente trop fort.
Ces poêles peuvent contenir environ cinq cent soixante-trois quintaux d'eau salée, dont on obtient au moins cent quintaux de sel. Au bout de chacune est un poêlon, où l'eau, plus éloignée du foyer de chaleur, cuit plus lentement; aussi le sel est-il plus blanc et mieux cristallisé que celui des grandes poêles.
Les fourneaux sur lesquels elles posent, sont, les uns enfoncés de quelques pieds dans terre, les autres au niveau du sol. Leur construction, est encore vicieuse quoique l'oit ait cherché à la rectifier le plus possible; leur principal défaut est de laisser perdre une grande partie du calorique.
Autrefois, on n'employait que du bois à la formation du sel; il en faut deux pieds sept pouces quatre lignes cubes pour cuire un quintal de sel. Depuis quelques années on alimente plus de moitié des poêles avec de la houille des mines de Saarbruck; on en brûloit, dans les premiers momens, cent quarante à cent cinquante livres pour un quintal de sel ; mais on est parvenu à n'en dépenser maintenant que de cent à cent dix livres à Dieuze.
[…]
Il seroit cependant nécessaire pour cela que l'on pût faire venir la houille par eau, ce qui dépend de l'exécution du projet de faire communiquer la Sarre à la Seille par un canal.
Le sel cuit avec le bois dans vingt-quatre heures; il faut quarante huit heures pour le cristalliser à un degré convenable avec la houille. Quelques parties des départemens réunis en ayant demandé à très-gros grains, on en fabrique de cinq jours pour ce pays, mais en petite quantité.
Au sortir de la poêle, on met le sel dans des couloirs faits en forme de cônes renversés, à l'effet de faciliter l'égouttement des eaux mères qui sont restées dans le sel; on l'y laisse pendant quelques jours dans un séchoir placé derrière le bâtiment de fabrication; et on le porte ensuite dans de vastes magasins où il est mis en grandes masses : au bout de quelques mois le sel est parfaitement ressuyé; mais il, subit pendant cet intervalle un déchet d'environ deux pour cent.
SALINE DE CHATEAU-SALINS.
Cette saline a été bâtie, en 1330, par la duchesse régente
de Lorraine, Isabelle d'Autriche, mère du duc Raoul.
Il y a deux puits salés : dans le premier, dit puisard, se trouvent deux sources qui jusqu'en 1793 se confondaient; leur salure combinée étoit assez foible; en conséquence on en jetoit tout le produit à la rivière : l'une n'a que six à sept degrés et l'autre qui jaillit à travers un tuyau de plomb, est de treize degrés trois quarts à quatorze degrés.
M. Quintard, ancien directeur de cette saline, a trouvé le moyen de séparer ces deux sources à l'aide d'une machine hydraulique fort simple; et l'eau du corps de plomb alimente aujourd'hui en grande partie la fabrication.
La source du second puits, qui n'a que treize-degrés foibles, est encaissée dans un assemblage en chêne : du fond de ce puits, l'eau jaillit avec une telle abondance, qu'on regarde la source comme inépuisable; mais la ressource des combustibles et les débouchés pour la vente n'étant pas en proportion, la plus grande partie des eaux de ce puits restent sans emploi.
Les procédés de la fabrication sont les mêmes qu'à Dieuze; seulement il faut un neuvième de plus de combustibles à cause de 1'infériorité du degré de salure; et on y fait usage de 1a houille à-peu-près dans les mêmes proportions.
SALINE DE MOYENVIC.
Cette usine appartenait anciennement au domaine de l'évêché de Metz. Le cardinal de Lorraine, évêque de Metz l'avait inféodée au Duc de Lorraine avec celle qui étoit alors à Marsal moyennant une redevance annuelle de 35000 francs.
La source qui est dans cette saline produit quatre cents muids d'eau dans vingt quatre heures; cette eau, qui a treize degrés un tiers de salure, est recueillie dans un puits, et élevée par une machine hydraulique pareille à celles des autres salines.
Comme l'eau de celle de Dieuze est plus riche, et. d'ailleurs surabondante, on a établi, comme je l'ai déjà observé, depuis cette saline le long de la rivière de Seille, une file de corps qui portent à Moyenvic des eaux pour une fabrication d'environ cent vingt mille quintaux de sel; de sorte que l'on ne fait usage du puits que quand la conduite éprouve quelque accident, ou quand elle, est insuffisante.
Depuis long-temps des vues d'utilité publique avoient engagé les administrateurs des salines à rechercher les moyens d'y économiser le combustible; on savoit que les salines de Bavière jouissaient d'un procédé supérieur à tous les essais pratiqués en France. M. Clais, directeur de ces manufactures, a donné des plans d'après lesquels on a construit à Moyenvic, un nouveau bâtiment à cinq poêles : on à commencé a y fabriquer en messidor an 8.
Dans cette nouvelle construction, les fourneaux, au lieu d'être enfoncés dans la terre, sont élevés d'environ neuf pieds au dessus du sol; ils forment un carré long, et sont placés sur des voûtes disposées de manière à pouvoir augmenter à volonté la circulation de l'air et la force du feu : les foyers sont formés par des grilles posées au milieu d'un des côtés longs; leurs portes sont au-dessus des voûtes; elles sont assez basses pour que la chaleur, qui tend toujours vers les points élevés, ne s'échappe pas lorsqu'on les ouvre. A la porte dès cendriers, il y a des régulateurs qui facilitent l'introduction de l'air à travers les grilles; l'âtre des fours présente de chaque côté un plan incliné, qui laisse un espace suffisant à la circulation de la flamme; la chaleur y est parfaitement concentrée, et on la modifie à volonté. Les poêles sont supportées par des piliers en fonte : celle du centre est la plus élevée ; elle évapore jusque à vingt-trois degrés les eaux qu'elle reverse dans deux poêles latérales, qui les graduent jusqu'au point de cristallisation, d'où elles retombent dans deux autres poêles, où la cristallisation s'opère complètement.
On tire le sel toutes les six heures; il se porte sur des séchoirs placés à chaque extrémité du bâtiment, et à côté de chaque poêle de cristallisation : ces séchoirs sont, comme les poêles, construits en tôles platinées, parfaitement carrées, repliées d'équerre en dessous, et assemblées par des clous à vis garnis d'écroux.
Les voûtes, les fours, les grilles, les âtres, sont tellement distribués, que l'excédant de chaleur passe d'un four dans un autre. La poêle du centre est alimentée, non seulement par son propre feu,, mais encore par tous les autres; et les séchoirs ne sont échauffés que par un calorique qui seroit absolument perdu.
Au-dessus de chaque poêle, il y a une cheminée en bois, si bien
fermée, qu'elle empêche le contact de l'air extérieur; ce
qui favorise particulièrement l'évaporation : et son inclinaison
est telle, que les vapeurs, la pluie ou la neige ne peuvent jamais tomber sur
les poêles
.
Chaque quinzaine, on cesse les feux, pour nettoyer les chaudières et
faire toutes les réparations nécessaires.
Le bois est le seul combustible, employé à la saline de Moyenvic.
Avant l'adoption du nouveau système de fabrication, il falloit trois pieds un pouce neuf lignes cubes de bois pour cuire un quintal de sel ; on a déjà obtenu une économie d'un quart, et l'on espère la porter à un tiers, lorsque l'on aura exécuté plusieurs rectifications qui vont avoir lieu; et il est -même probable qu'elles ajouteront aux avantages du procédé bavarois.
Les dépenses en fer, en réparations et main-d'œuvre , seront
aussi bien moins considérables que dans les anciennes poêles. Dès
que l'on aura pu juger du perfectionnement des constructions de Moyenvic, on
élèvera successivement des bâtimens du même genre
dans les autres salines.